Les carrières souterraines de Langoiran

La carrière souterraine de Bellevue à Langoiran est une réhabilitation exemplaire.

Contexte géologique et historique

Site c1

L’Entre-Deux-Mers est bien connu pour ses nombreuses carrières souterraines à l’abandon. Ces exploitations concernent la formation du calcaire à Astéries d’âge Oligocène inférieur (Cahuzac et Chartier, 2006), connue localement sous le nom de “Pierre de Bordeaux”, même si aucune pierre de taille n’a été extraite du sous-sol même de la cité aquitaine.

Son utilisation est attestée depuis au moins le IIIe siècle (Palais Gallien à Bordeaux, Deroin, 2001). L’origine de la plupart des carrières souterraines d’Entre-Deux-Mers est liée à l’expansion économique et viticole de la région à partir du 11° siècle sous l’impulsion anglaise ; elle est illustrée par le foisonnement des églises et prieurés bâtis à partir de cette époque. La médiocre qualité des matériaux disponibles à ciel ouvert, la faible extension des sites exploitables et leur éloignement des centres urbains a conduit rapidement à l’exploitation souterraine de la « Pierre de Bordeaux ».

Au début souvent artisanale, l’exploitation se rationalise aux 18° et 19° siècles ; on voit alors se développer la méthode d’exploitation en « chambres et piliers abandonnés », dans laquelle environ 25% du volume de roche demeure inexploité pour servir de soutènement plus ou moins régulièrement disposé. Les carrières sont développées autant que possible sur plusieurs niveaux. Pour prélever les blocs de pierre (en forme de parallélépipèdes rectangles), on pratiquait sur le front de taille deux saignées horizontales en haut et en bas (les esclopements), et des saignées verticales (ou taille-debout, espacées de "2 pieds de carrier", soit 0,70 m) où l’on enfonçait peu à peu plusieurs coins (Canor, 1999). Les caractéristiques mécaniques de la roche : faible cohésion et basse résistance mécanique - de 0,5 à 5 MégaPascals, inférieure à celle de la craie (Beaufrère, 1986), en permettront l’exploitation manuelle jusqu’au milieu du 19° siècle. Ces particularités expliquent aisément la fragilité à l’érosion, la grande perméabilité et la tendance à l’effondrement qui constituent les défauts majeurs de ce matériau.

L’exploitation en sera interdite par arrêtés préfectoraux dans les années 1870-1880, à la suite de trop nombreux accidents et de l’apparition de nouveaux matériaux concurrents. La plupart des carrières souterraines seront alors abandonnées et rapidement oubliées ; certaines seront encore exploitées clandestinement et de façon anarchique, les rendant éminemment dangereuses. D’autres seront réutilisées en habitations, garages, décharges, ou même salles de danse. Quelques-unes servent encore de caves ou de champignonnières.

La carrière de Bellevue

Site c2

En 2005, le propriétaire du domaine viticole de Bellevue commande un diagnostic technique afin de réhabiliter et sécuriser ses carrières souterraines en vue de leur aménagement en « chai troglodytique ».

Du rapport du cabinet consulté, il apparaît que l’essentiel des travaux de consolidation vise à remédier à des désordres liés à la décompression d’une part (cisaillement de piliers, éclatement de parois, affaissement de voûtes), et à l’altération per descensum le long de fractures et de poches karstiques, fortement conditionnée par la couverture arborée du site. Les travaux de purge, de maçonnerie et de soutènement auront pour but de stabiliser et sécuriser le site ; le remplacement de la végétation opportuniste à longues racines par la vigne permettra de limiter l’évolution de l’altération.

La finalisation du projet est effective en 2007. Le propriétaire, conscient de la valeur patrimoniale de ses carrières, ouvre ses chais à la visite. L’intérêt n’est pas seulement oenologique, mais également géologique et historique ; les travaux réalisés permettent l’observation des solutions géotechniques utilisées, mais ont également préservé de nombreuses traces de l’exploitation ancienne : structure générale de la carrière, organisation des fronts de taille, critères d’arrêt d’exploitation, témoins de la surexploitation.

Ce site ainsi réhabilité constitue un lieu de mémoire exceptionnel, où tant le grand public que la communauté des géologues peut y trouver les archives d’un passé pré-industriel fécond.

Didier Chartier,

Conservatoire de Géologie d’Entre-Deux-Mers

Bibliographie

  • BEAUFRERE C., 1986, Influence des facteurs géologiques et mécaniques sur l’évolution de la stabilité de quatre carrières souterraines exploitant le calcaire Oligocène en Gironde. , Thèse de Doctorat de l’Université de Bordeaux 3, Institut de Géodynamique.
  • CAHUZAC B. et CHARTIER D, 2006, Quelques sites géologiques inédits ou peu connus du Tertiaire (Oligocène, Miocène) de l’Entre- Deux-Mers (Aquitaine, France). Bull. Soc. Linn. Bordeaux, Tome 141, (N.S.) n° 34 (3) 2006 : 243-263, n° 34 (4) 2006 : 287-306.
  • CANOR D., 1999, Lecture d’un front de taille : autopsie d’une technique oubliée, in « Table Ronde : Les Carrières Souterraines de Gironde », Société Spéléologique Préhistorique de Bordeaux, p 45-49.
  • DEROIN J.-P. et al., La pierre de construction dans le département de la Gironde, in 126e congr. nat. soc. hist. scient., Toulouse, 2001, Carrières et constructions IV, p. 83-98.
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